Grands Coeurs Boris Aubligine

Boris est animé d’une énergie assez exceptionnelle et anime un projet indispensable : la galaxie Etika Mondo. D’un côté, une formation en ligne pour accompagner les porteurs de projets alternatifs, et de l’autre un labo en plein air pour rencontrer sur le terrain des projets éthiques solides via les Etika Tours. Un témoignage fleuve (pour une fois) et un retour sur cette histoire toute récente qui nous façonne activement des lendemains vraiment intéressants !

"A la base, Etika Mondo est né d’un mouvement social et a nourri une vision plutôt qu’une offre commercialisable - ça c’est venu ensuite parce qu’il est important de pérenniser l’élan et de se donner les moyens de monter un projet aussi ambitieux.

Le 15 mai 2011, les espagnols de DRY (Democracia Real Ya) répondent à l’élan déclenché par les révoltes Arabes. Là se lance le mouvement des places qui va se propager à travers toute l’Europe et compte aussi le départ des marches qui convergent vers Bruxelles, au Parlement Européen, pour réclamer une démocratie Réelle Maintenant, entendez une forme de démocratie directe, donc décentralisée et au sein de laquelle les gens participeraient en se rendant sur les places publiques où seraient discutés les besoins et les projets. C’est ce qui va d’ailleurs se passer en Espagne, et transformer le mouvement du 15M (en référence au 15 mai) en Podémos.

Le 17 septembre 2011, alors que la marche espagnole atteint Paris, les habitants de Wall Street, motivés par des vidéos virales diffusées par AdBusters (l’équivalent de Casseurs de Pub en France) et Anonymous, envahissent le Zuccoti Park au pied des tours de la finance. C’est un formidable coup d’éclat qui déclenche en quelques semaines l’élan d’Occupy que l’on va retrouver plus tard jusqu’en Syrie via Omar Aziz qui dit s’en être inspiré pour l’organisation de groupes citoyens autonomes, en Turquie ou encore à Hong Kong.

Il faut savoir que sur le web l’organisation d’Occupy et des Espagnols était très active. Et que dire de l’effet Youtube, Twitter et Facebook en Tunisie et en Egypte ! Moi qui alors était très mitigé sur l’importance accordée au web, j’ai compris qu’on avait là un outil, certes de courte durée dès qu’on intègre les enjeux énergétiques, mais essentiel pour bousculer le monde et possiblement le réorganiser. A force de tables rondes virtuelles, a été décidé un Global Call pour le 15 octobre 2011 qui lançait un appel à toutes les Assemblées Populaires du monde entier de se soulever. Ce jour-là, c’est quelque 1000 villes dans presque 100 pays qui ont vu des mouvements citoyens répondre à l’appel.

La réussite de cet appel a tenu dans trois éléments essentiels au-delà du message et de la gravité de la situation : un site internet en commun, une vidéo claire qui appelle à l’action et une carte interactive sur laquelle chaque assemblée pouvait venir s’inscrire pour mentionner sa participation.

Moi qui vit en zone rurale reculée j’ai reçu comme une vague de solidarité en voyant cette carte se remplir de points rouges identifiant les villes prêtes à se mobiliser. Tous les réseaux étaient mobilisés. C’était incroyable ! Les réunions parlaient 20 langues, il y avait toujours des traducteurs improvisés disponibles et des geeks prêts à aider le novice pour qu’il s’approprie au plus vite les outils de communication et de participation collective. Les manifestations étaient l’occasion de se rencontrer et de savoir sur qui compter.

Très vite après le 15 octobre on a vécu un enchaînement de nouveaux appels et nous étions quelques-uns, de notre propre élan, à partir voyager à la rencontre de telle et telle assemblée dans le but de fédérer tout ce beau monde. C’est quand j’étais à New York parmi les Occupyers que j’ai eu l’idée d’Etika Mondo. Plusieurs constats m’ont fait me décider. Déjà, je remarquais que plus nous avancions et moins les actions étaient globalement coordonnées puisque chacun voulait y aller de sa propre énergie. Puis surtout, je me rendais compte que si un travail de fond sur la gestion du "faire ensemble" posait les bases de la démocratie à venir, le grand public voyait dans notre mouvement surtout une sorte de méga-agence événementielle contestataire aux banques. Ce qui est très réducteur mais il fallait bien l’accepter et donc à nous de diffuser notre savoir-faire.

A ce moment là, je lisais l’Emergence des Créatifs Culturels de Paul Ray et Sherry Ruth Anderson. Les créatifs culturels est un courant socio-culturel né entre les modernistes et les traditionalistes. Ces personnes répondent aux valeurs écologistes, féminines, portent la vision d’un village planétaire et sont attirées par les questions de développement personnel et de spiritualité. Selon ce sociologue et cette psychologue, ils seraient plus de 25% en 1998 aux Etats-Unis, et diverses études depuis ont placé le cursus entre 30 et 35% dans les pays d’Occident. Néanmoins, les créatifs culturels n’ont pas conscience de leur existence et plutôt que de s’organiser, se sentent isolés, du fait des médias modernistes qui ne s’intéressent pas à leurs sujets de prédilection.

Pour moi c’était tout vu : des indignés espagnols aux occupyers de Wall Street, nous sommes en train de vivre l’organisation spontanée et soudaine des créatifs culturels. J’irai ensuite jusqu’en Tunisie tenter de pressentir si ce phénomène est le même. Et pour mon humble avis, il l’est. Donc voilà comment j’ai pensé à créer Etika Mondo : conserver l’élan de ce mouvement populaire international en mettant un point d’orgue à quelque chose de collectif et fédéré et qui, plutôt que de proposer un événementiel régulier avec une cartographie des contestations, propose une mise en réseau via une cartographie des solutions.

Bref, une occasion de fédérer les créatifs culturels sans forcément s’identifier comme tel car les observations sociologiques ne sont pas nécessairement l’identité souhaitée par les intéressés. Il faut savoir que parallèlement, vivant dans les Basses-Alpes de Haute Provence, j’avais créé une petite structure mêlant organisation et animation d’événements éthiques (fête de la forêt, marchés de producteurs, fête de la biodiversité...), communication et conseil pour des petites entreprises, associations et des élu.e.s locaux. Plus j’avançais dans mes travaux et plus je me rendais compte que la richesse et la pluralité des créateurs de cultures était carrément invisibles.

Et encore là une bonne occasion de créer cette plateforme géographique de l’éthique où chaque point de la carte identifierait une organisation éthique et renverrait à un profil très complet mêlant images et textes et présentant donc l’engagement éthique des organisations, mais aussi leur mode de fonctionnement et leur écosystème pour que tout un chacun puisse comprendre comment cette organisation fonctionne, et puisse 1) s’en inspirer et 2) l’utiliser en bonne connaissance de cause.

Souvent, mes ami.e.s me disaient alors "C’est un label que tu veux créer". Je n’étais pas à l’aise avec cette approche puis j’ai compris la différence entre un label classique et Etika Mondo : un label existe pour dire au consommateur "Achète en confiance nous vérifions pour toi le respect d’un cahier des charges". Etika Mondo sera plutôt "L’organisation qui te propose ce bien ou ce service a été explorée de fond en comble et a joué le jeu d’une transparence totale dans le but de partager ses savoirs et cette info est disponible."

Dernier point qui va déterminer mon engagement total pour ce projet : à force de voir des talents galérer, j’avais décidé de créer une petite boutique dans les Gorges du Verdon, une sorte de mélange entre Nature et Découverte, Biocoop et une Maison de Pays. La mission était de répondre aux besoins quotidien des familles exclusivement à partir de produits éthiques. Donc locaux, bio, de qualité, dont les salaires sont également répartis, etc. Et là, avec ma compagne, nous nous sommes confrontés à une triste réalité : malgré notre réseau et notre bagage plutôt solide dans le domaine, il nous était très difficile d’avoir une offre répondant à l’ambition. Oui, nous étions très loin devant concernant l’engagement éthique. Incomparable. Mais encore plus loin de ce que nous aurions espéré. Or, plusieurs artisans jouaient le jeu en améliorant une série de leurs produits rien que pour nous : le fabricant de biscuits travaillait une recette bio, le maroquinier ne travaillait que des cuirs français conçus à partir de tannins végétaux, etc.

Mais nous nous rendions compte que si la confiance, le bon sens et l’ouverture au marché étaient au rendez-vous, sans nous tout ça ne perdurerait pas sans un véritable mouvement de fond et surtout il y avait un véritable manque de connaissance et, soyons honnête : de compétence pour beaucoup de producteurs. Quant aux fournisseurs, qu’est-ce que nous avons pu être naïfs et nous faire avoir par des offres jamais à la hauteur des ambitions affichées. Et pourtant je le répète, nous étions un public particulièrement difficile et exigeant. Il me fallait donc réussir à "éduquer" tout ce beau monde, me détacher de la structure de commerçant trop chère pour les producteurs qui rognaient leurs marges pour nous, trop chère pour le consommateur qui payait mes marges, et pas assez rentable pour moi qui, malgré ces marges, tirait la langue pour payer le loyer, le fond de commerce, les frais de livraison et les salaires. En outre, imaginer dupliquer une enseigne demandait des fonds astronomiques que je n’avais pas.

Le web allait régler tout ça en me permettant de faire le lien direct entre producteurs et utilisateurs. Plus aucun besoin de marge, juste un petit abonnement pour participer aux frais et le tour serait joué, d’autant que les "vendeurs" ne seraient plus des salariés formés, mais directement les producteurs : donc les véritables experts. C’est comme ça qu’a commencé Etika Mondo, dans cet état d’esprit. Nous avons commencé avec un petit site vitrine, une simple cartographie avec des points bleus... Et là j’allais découvrir toute la difficulté de transformer une idée en projet puis en offre.

Si mes connaissances en agriculture et en gestion de la nature me permettaient de construire des projets plutôt sympas, je manquais cruellement de bagages techniques côté économie et gestion de projet. J’ai ainsi passé trois ans à me renseigner sur les formations qui m’étaient accessibles. Au début, à part des licences, aucune porte ne s’ouvrait. J’étais de niveau BTS. Puis, à force de persévérance, une puis deux, puis trois personnes m’ont donné des conseils pour extraire de mon parcours ce que j’aimais vraiment, les compétences accumulées, ce vers quoi je tends, etc. J’ai fini par ouvrir les portes de l’Executive Global MBA de chez Euromed, devenue depuis Kedges. Du coup, j’ai pu découvrir ce que gestion et management de projet veut dire. Si ça m’a confirmé la fausse route du business en général, j’ai pris une véritable claque d’humilité sur la conduite de projet et surtout j’ai compris combien nos mouvement sociaux, nos associations, nos projets alternatifs étaient super-amateurs, et complètement à côté des nécessités à prendre en compte.

Certains pourraient croire à un formatage, oui, en partie. Mais en partie seulement. Si tu veux sauter, il faut plier tes genoux et bondir. Plus tu vas t’entraîner et mieux tu vas sauter. Après, tu seras même capable de sauter tout en courant. Bon, et bien lancer et gérer un projet c’est la même chose ! Entreprendre ok c’est pour faire des sous... mais est-ce seulement ça ? N’est-ce pas aussi la possibilité de transformer la société ? A cette heure où j’écris on parle d’Uber qui bouscule l’économie classique et de la possible faillite de la Grèce. Le point commun de ces deux actualités ? Peu de personnes ont réfléchi à une stratégie qui a fonctionné - ou pas - pour maximiser des profits. Si on développe cette même énergie et connaissance pour maximiser des profits cette fois à propos de l’écologie, de la santé, du social, de la démocratie, etc., alors là on peut gagner la partie. Évidemment, dans ce contexte, quand je dis "profit" cette fois ce n’est pas d’argent dont je parle.

Du coup, je raconte un passage qui a énormément influencé l’évolution d’Etika Mondo. C’était en Inde, en voyage d’étude avec l’école. Je pars la semaine avant pour rencontrer le docteur Vandana Shiva et des associations locales. Je me retrouve dans un bidonville de Dehradun à la rencontre d’une chouette asso qui assure la scolarisation d’enfants trop pauvres pour accéder à l’école publique faute de chaussures aux pieds. Le lendemain de cette rencontre émouvante, je me retrouve à la bourse de Mumbaï pour un cours sur la finance et le cross-culture indien... Évidemment, dans cet interstice, y a de quoi avoir envie de hacker le système ! Et tu as beau avoir un esprit hyper ouvert et savoir apprécier l’humain qui se trouve dans chaque trader et business maker, tu ne peux t’empêcher de voir des gars — et des nanas ! — complètement déconnectés des réalités sociales et écologiques. Mais ce qu’il y a de bon, c’est qu’ils ne sont pas peu nombreux dans ces cercles à le savoir et donc prêt à te filer la main sur un conseil, un coup de main, une mise en relation, parce qu’ils savent qu’il est essentiel que des projets comme Etika Mondo émergent.

Toujours est-il qu’à l’issue de tout ça je me suis rendu compte du fossé entre le bagage technique nécessaire pour les porteurs de projet, tant sur la partie éthique que sur la partie gestion de projet. Bon, et bien tu laisses juste le temps que la mayonnaise prenne dans la tête de l’ours des bois que j’étais il y a à peine trois ans et un beau jour tu te retrouves avec Etika Mondo qui te propose deux pistes : une formation en ligne de 40h avec une dizaine d’intervenants offrant un métissage de consultants et d’activistes, et un programme de préparation et d’accompagnement pour réaliser des Etika Tours, des voyages à la rencontre des organisations éthiques en train de changer le monde. Et tout ça forme un réseau en pleine émergence."


Le site d’Etika Mondo vous permet d’accéder à la formation, aux Etika Tours et au blog. Le coût de la formation est libre, de 100 à 400€ avec accès illimité aux cours pendant un an.


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