Grands Coeurs Christine Mazet

Christine partage ici sa réflexion et sa mise en pratique de la non-violence. Tu ne tueras point ?

"Il y a au milieu de la cuisine cette grosse araignée. Je n’aime pas les araignées, je la vois énorme, au moins une tarentule. Je suis si dégoûtée que je n’ose pas l’approcher, et j’ai tellement peur qu’elle me saute dessus, que je n’ose plus me déplacer dans ma cuisine.

A portée de main traîne un insecticide virulent, j’en bombarde l’araignée, courageusement, de loin. Elle se tord aussitôt de douleur, et son supplice dure, elle n’en finit pas de se tordre. Une image remonte à ma mémoire, celle d’un être humain brûlé au lance flamme dans le film « Le vieux fusil ». La pitié prend enfin le dessus et j’écrase l’araignée, écoeurée tant par l’araignée que par mon acte de torture. La campagne, c’est nouveau pour moi. Ici les araignées sont plus grosses et plus nombreuses. Il n’empêche que le meurtre de la bête hante ma conscience !!

Quelques temps plus tard, je tombe par hasard sur un poème de Victor Hugo, qui commence par « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie ». Les 3 dernières strophes finissent de m’accabler.

Passants faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
oh, plaignez le mal

Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie
De les écraser,

Pour peu qu’on leur jette un oeil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La mauvaise bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour

Touchée, coulée. Je pleure l’araignée que j’ai sauvagement massacrée. Je décide de ne plus jamais faire ça. Je deviens rapidement spécialiste es exfiltration d’arachnides. Un verre dans une main, un papier cartonné dans l’autre et le tour est joué. J’imagine que la première araignée évacuée a dû avoir le mal de l’air, car le verre ressemblait plutôt à un shaker, mais petit à petit j’ai pris de l’assurance. On m’appelle de loin « ARAIGNEE DANS L’EVIER !!! »

Un jour d’errance sur la toile, je tombe sur des conférences bouddhistes. L’intervenant en vient à « ne pas tuer ». Il dit à son auditoire que ça semble une évidence, quand il s’agit d’un homme, d’un chien, d’un chat, mais qu’en est-il des grands pacifistes devant un moustique ou une huitre ? Je décide de relever le défi. Pour les huitres, ce sera facile, l’idée de manger une bête vivante m’est
insupportable. Les moustiques, c’est un vrai défi, une pénitence, une expiation. On est en plein hiver, j’ai quelques mois pour trouver des solutions. Je m’imagine trempée dans de la citronnelle, ou ne quittant plus un champ de basilic.

En attendant vient le printemps, et je commence un potager. Le temps de faire une belle butte dernier cri estampillée agro-écologie véritable, et voilà qu’il se met à pleuvoir. Des seaux et des seaux. Et tout ce que je plante ou sème se fait dévorer en une nuit par une horde de limaces

Moustiques ou limaces, c’est du pareil au même, je me suis auto-engagée dans un défi, et avant de gracier les moustiques je ne tuerai point de limaces ! Je fais des recherches sur le net, achète des livres sur les limaces, use de tous les stratagèmes, rien ne marche et tout se fait dévorer.

En moi, la lutte est intense, et je mesure la profondeur de mes pulsions meurtrières. Ce serait si facile ! d’ailleurs tout le monde me le dit, quelques granulés bleus ... Quelques granulés bleus et des limaces qui se tortillent, comme l’araignée, ah non, pas deux fois !! Je préfère encore les tuer d’un coup de hache ! Et puis je regarde avec étonnement s’effondrer cette légende humaine : mon intelligence supérieure et mon cerveau high-tech, merveilles parmi les merveilles, clairement au-dessus
de toute la création, sont tenus en échec par une tribu de mollusques. Et je n’entrevois comme solution que l’élimination de ce qui me dérange. Des siècles et des siècles d’évolution pour en arriver là !

Et j’appréhende d’un coup avec la plus grande stupeur, notre violence, notre arrogance,notre faiblesse, notre terreur ... et contre toute attente, je décide de partager. J’achète des salades, des bios, et j’en porte chaque jour des feuilles au potager. Les limaces se régalent sûrement. J’ai mis le monde à l’envers. Enfin, ça pousse. Ma production cette année là se résume à une seule salade, énorme, quelques oignons et quelques courgettes. Un an plus tard c’est beaucoup mieux, le jardin s’équilibre tout seul, il faut du temps, de la patience, de la confiance, de l’humilité.

Ne pas tuer, c’est une véritable révolution intérieure, ne pas juger en est une autre. Il est devant nos yeux une multitude de voiles. Il ne viendrait à personne l’idée d’engueuler un aveugle qui a raté une marche. A chacun de nous qui a vu quelque chose, revient la lourde charge de la faire voir à d’autres, avec du temps, de la patience, de la confiance et de l’humilité. Pour nous tous, le chemin est long,
d’ailleurs moi-même cette année, j’ai encore tué deux moustiques..."



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