Grands Coeurs Janine Dessert

Janine Dessert a été chef du Service Photos d’un grand magazine féminin pendant 24 ans. Aujourd’hui, elle est photographe plasticienne. Elle apprend une quatrième langue et est engagée dans une association mondialement reconnue, qui représente et défend les valeurs humanistes et universelles. Elle témoigne ici d’un amour du métier enthousiasmant et de la façon dont elle a fait évoluer sa passion pour la photo.

« Les chats ont soi-disant sept vies, j’en suis à ma cinquième… Ma vision du monde et de mon monde a changé bien des fois dans ma vie. Je voudrais témoigner dans ce projet à propos de ma vie professionnelle, celle qui, contre toute attente, n’avait aucune chance de devenir ce qu’elle fut.
Un jour, j’ai accepté de devenir agent de photographe alors que je n’y connaissais rien. Des artistes allemands en plus, mais je suis bilingue en allemand. J’ai donc acheté une petite voiture, l’annuaire des agences de publicité/magazine/édition (c’était avant Internet) et chargée de mes Press-books (5kg chacun), je les ai démarchés… avec succès. Et puis, un passage en Agence de Presse, à Gamma. Un jour la directrice d’un grand magazine féminin parisien lancé en 1981 me téléphone. Les photographes que je représentais travaillaient, grâce à moi, pour ce magazine, entre autres.
— « Janine, nous lançons un magazine féminin, nous avons besoin de vous ».
Pendant 24 ans, j’allais vivre dans cette équipe les débuts d’une aventure, d’un journal, et des moments inoubliables. L’enthousiasme, l’énergie, l’envie de faire vivre ce « nouveau-né », créer, est une expérience que je souhaite, de tout cœur, à chacun.

Mon travail, avec une petite équipe, consistait à « remplir » chaque semaine huit pages magazine avec une histoire exemplaire, féminine, familiale, historique, des photos parfaites, si possible de grands photographes, et c’était un challenge pas évident à relever. La compétition dans le monde de la presse magazine était féroce. Et en plus de ces huit pages, il y avait, je dirais, les pages « normales » : actualités, petits potins, interviews.
On me donnait un thème, Grace Kelly, Marilyn Monroe, Ingrid Bergman, la Duchesse de Windsor, les Belles du Siècle (une série de 15 personnages), les grands Séducteurs (une série de 10), l’intimité des grands peintres, et à chaque fois, je cherchais, telle une détective, à reconstituer leurs histoires en images.
Je voyageais beaucoup, trois jours à Rome, pour retrouver les archives de Mata-Hari ou dénicher auprès d’un collectionneur exceptionnel des photos des studios d’Hollywood.
Je recevais aussi beaucoup de jeunes photographes. J’aimais parler avec ces jeunes créateurs, les diriger aussi, c’était mon travail. Ces jeunes créateurs sont devenus, aujourd’hui, connus et reconnus.

J’étais installée derrière mon bureau, ou devant ma table lumineuse, je regardais au compte-fil les diapos, je touchais, manipulais les tirages, je sélectionnais, constituais des dossiers, pour raconter l’histoire de ces icônes, que je présentais ensuite à mon rédacteur en chef et à la direction artistique, puis je suivais le travail des maquettistes, des secrétaires de rédaction, pour vérification des légendes, des bons crédits photos. Une source d’échange avec des gens épatants, singuliers, un travail d’équipe, où chacun apportait son savoir-faire. L’occasion, aussi, de créer des liens humains très forts.

A côté de ce rôle d’interface avec les lecteurs et la direction dans sa tour d’ivoire, je me suis engagée dans une action syndicale, pour représenter, voire défendre, les intérêts de mes compagnons au sein de ma société, pendant huit ans. Une autre histoire, humaine, aussi.

Et puis, un jour, le temps se pose, il est temps d’arrêter. Le temps de la « retraite ». Quelques années un peu difficiles, forcément. On se retrouve face à soi-même, à regarder au fond de soi, à repartir vers une autre recherche. Le chemin a connu quelques errances, et puis, un soir, pourquoi ai-je sorti de mes tiroirs la photo d’un homme, cher à mon cœur autrefois, l’amour de ma jeunesse, mon premier mari. J’ai fait un scan, une photocopie, puis, allez savoir, j’ai froissé cette belle image, tout simplement. J’aurais pu la jeter, eh bien non. je l’ai dépliée, je l’ai photographiée, telle quelle, carte mémoire dans l’ordi, un tirage, et qu’ai-je vu sortir de mon imprimante ? Un visage déformé, effrayant, révélateur d’une face cachée de cet homme qui m’a fait beaucoup souffrir, et grandir aussi. Tout sert. J’ai rangé ce tirage dans un dossier, j’ai mis trois jours à oser le regarder. J’en avais peur.

Et puis, je l’ai regardé, j’ai écouté mon émotion. Si je pouvais révéler cela avec la photo d’un être aimé, un symbole de l’amour, pourquoi ne pas continuer ? S’est alors enclenché un processus de création-destruction/re-création, transformation, à la recherche de petites chimères, de monstres, de visages étonnants, comme venus d’ailleurs, une autre façon de regarder, d’aller au-delà d’une réalité, souvent trompeuse, d’une apparence, si chère à nos sociétés formatées. Au-delà du miroir, d’un miroir.

J’ai appris à rester connectée à mon « moi », même dans des moments difficiles, à écouter cette petite voix intérieure, la questionner, encore et encore, même si parfois elle ne dit rien. Elle a besoin de silence pour nous parler, des silences parfois difficiles à vivre, et la société nous incite à être toujours connectés, souvent superficiellement, aux autres, dans le bruit et le « faire », à des fins mercantiles. Est-ce vraiment ce qui est bon pour nous ? Apprenons à faire le tri. Croyez en vous, cultivez votre beauté, unique et si précieuse, ayez confiance….. en vous. Surtout dans les tourments. Des amis, des rencontres, des présences seront là, pour vous venir en aide. C’est certain. »


Site internet : www.janinedessert.fr


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